HYSTORY OF VIOLENCE

Corps

J'ai commencé à comprendre que quelque chose s'était passé, réellement, le jour où je me suis rendu compte que je fermais à clé la porte de ma chambre lorsque j'allais me coucher. Ce geste n'avait aucun sens pour moi. Depuis des années, ma vie s'effondrait: je perdais mes amis les uns après les autres, je ne sortais plus volontiers de chez moi, je travaillais dans le vide pendant des heures et des heures, ma voix avait changé. Toutes mes énergies s'étaient comme rassemblées dans un effort extrême de cécité. Seule la rage, explosant par moments, muette, agitait à peine la surface plate des jours.
Pendant des années, en travaillant, j'avais recueilli chaque jour l'insulte de l'agression inattendue: psychologique, verbale et enfin physique. La menace-conseil: « Tu dois te rendre compte que je pourrais te tuer à cause de ce que tu as dit. » « Tu dois te rendre compte »: en effet, je ne m'étais pas rendu compte. J'avais écarté l'inadmissible qui s'était accumulé chaque jour avec une patience d'ange, avec une habileté chirurgicale. Pendant des années. De toutes mes forces. Avec toute mon intelligence.
Quelque chose rend incompréhensible, intolérable, invisible la violence dont on fait l'objet. C'est peut-être pour cela que l'unique violence qui nous semble aujourd'hui possible à raconter est celle qui s'effrite dans un excès ; plus elle est grotesque, extrême, plus les détails deviennent prononçables: elle est encore signifiante, objectivée, son témoignage est évident. Nous la voyons en dehors de nous, alertés par elle dans la presse, elle est quotidienne, et dans les journaux télévisés quotidiens. Écrasée par les grands nombres ou cristallisée dans les détails les plus cruels, exclue de la normalité, la violence se répète identique sous nos yeux, dans des vies qui ne sont pas la nôtre, sans raison et sans épaisseur.
Mais souvent, jusqu'au bout, nous ne savons ni voir, ni sentir la violence qui nous touche. Le Moi ne contemple pas la violence.
En Italie, 95,8 % de la population carcérale est de sexe masculin: « il s'agit d'une proportion stable au fil du temps », récite aseptisé le communiqué de presse de l'enquête ISTAT de 2011. La violation de la loi et la rupture du pacte social sont masculines, comme la règle elle-même est masculine et comme le pacte social est masculin.

CORPS
Ce sont des corps aux portes du dépaysement ceux que Claudio Cravero rassemble dans History of Violence. Le visage absent fait que celui qui observe les identifie comme partie de soi. La pose décomposée dans l'asymétrie intercepte les lignes directrices du point de fuite. L'ordre est enfreint ; le corps gît parmi les objets familiers, détails mnémiques pour un corps oublieux, dans les lieux de sa domesticité: les pièces de la maison, une bibliothèque, la salle d'un musée, un jardin.
Ce n'est pas une violence féroce qui l'a abattu. Une certaine raideur, perçue comme un détail, révèle en eux l'absence de rigidité cadavérique. Le sujet est vivant, le sang coule dans ses veines: la lame est intacte, le corps indemne. Dans History of Violence, il s'agit d'images mémoire qui parlent d'un passé, peut-être récent et inaccessible (« Que s'est-il passé ? »), peut-être présent dans la respiration suspendue par la photo (« Que se passe-t-il ? »).
Dans celles-ci, entre l'avant et l'après, le dedans et le dehors se confondent dans les rais de lumière, dans les fenêtres ouvertes, jusqu'à se faire terre et eau pour un corps échoué. Le Moi ne contemple pas la violence ; dans les images de Claudio Cravero, le Moi de l'auteur se meut plutôt autour de ces corps, pour des enquêtes, des configurations possibles, dans une recherche de la blessure cachée à soi-même. Silencieux, il écoute plutôt l'écho troublé que renvoient ces corps. Jusqu'à devenir lui-même un corps, parmi eux ; parmi eux, confus et suspendu, indiscernable. La peur de faire et de se faire violence, la peur que le Moi rejette par lui-même, parce que c'est inadmissible, se retourne contre le Moi en l'habitant.
C'est peut-être ça le moteur de sa recherche. Son regard donne un corps aux fantômes qui interrogent une masculinité expropriée par l'Histoire, étroitement retenue dans l'étau d'une culture qui, réunissant dans une unique racine Vir (Homme) et Vis (Force), prétend que la Violentia n'est qu'un simple excès de la norme, un écart impondérable dont le résultat est grave. « Vraiment, ça peut m'arriver à moi aussi ? »
« Un homme normal », « deux personnes très tranquilles », « une famille comme tant d'autres »: la sombre obsession du journalisme italien pour la folie meurtrière qui, une fois le sujet soustrait au contrôle du Moi, pourrait expliquer chaque acte de violence à l'intérieur des relations affectives. Cette obsession dévoile sa trame parmi ces images ; trame qui peut être tissée par une peur plus ancienne et qui se montre au regard comme prochaine et inconnue. Parmi ces photographies, la mémoire s'exerce comme un rappel dans le présent — mimnēskomai — de quelque chose qui n'est plus là, plus maintenant: le rappel du souvenir soustrait ces images à l'altérité du témoignage, à l'évidence du document, à l'objectivation du fait, et pousse la tentative de compréhension dans l'expérience que le Moi ne peut pas contenir. Quelque chose se passe, maintenant, à l'intérieur de nous (Succéder: en italien Succedere; du latin Succedere, de sub, sous, et cedere, aller).
Durant un siècle et demi, la psychologie criminelle a défini des typologies de caractères violents en en mesurant les caractéristiques physiques et psychiques. Entre anthropologie et sociologie, l'exception de la violence a marqué le seuil de la normalité dans un mouvement continu: la dé-humanisation du violent, solution archaïque de ce qu'il y a de commun qui nous lie à lui, elle a accompagné les lentes transformations du Moi, avec ses violences discrètes, familières, bourgeoises, cyniques, éduquées, silencieuses, implacables, immémoriales, normales.
Épuisé le temps de la critique aux institutions globales, aujourd'hui ce seuil se révèle interne et interroge, audible et imprononçable, invisible et pourtant clairement perceptible, le sujet que nous sommes. Hommes et femmes, chacun pour soi.

Paola Pallavicini



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